Reconnaitre et apprivoiser ses pensées suicidaires
Eugénie DE HASPE, Psychologue clinicienne
Il arrive que la souffrance devienne si intense qu’une partie de soi cherche à fuir coûte que coûte.
Dans ces moments-là, le cerveau produit des pensées suicidaires — non pas parce qu’on veut réellement mourir, mais parce qu’il ne voit plus comment continuer à vivre avec autant de douleur.
Ces pensées ne sont pas un signe de faiblesse, mais un signal de détresse extrême : elles traduisent le besoin urgent de mettre fin à la souffrance, pas à la vie.
Comprendre le mécanisme des pensées suicidaires
Quand la douleur émotionnelle devient insupportable, le cerveau entre dans un mode de survie : il cherche une solution immédiate pour éteindre la souffrance.
Dans cet état, le raisonnement se biaise : l’amygdale (le centre d’alerte) domine, tandis que le cortex préfrontal (la zone du raisonnement et de la perspective) se déconnecte.
Le résultat :
la pensée devient rigide (“il n’y a plus d’issue”) ;
l’avenir paraît fermé ;
les émotions écrasent la réflexion.
C’est un court-circuit cognitif : le cerveau croit proposer une issue, alors qu’il s’agit d’une erreur d’interprétation émotionnelle.
Ces pensées ne disent pas ce que vous voulez, mais à quel point vous souffrez.
Elles sont un symptôme, pas une vérité.
Trois exercices pour se distancer de la “voix suicidaire”
1. Nommer la voix
Pour prendre de la distance : ce n’est plus vous qui parlez, mais une pensée automatique, parmi d’autres pensées.
Prenez une feuille et écrivez ce que “la voix” vous dit :
Exemple : “Tu ne t’en sortiras jamais.”
“Les autres seraient mieux sans toi.”Puis, ajoutez devant chaque phrase :
“Mon petit diable me dit que…”« La partie de moi qui est désespérée me fait croire que … »
2. Tester la cohérence
Demandez-vous :
Si un ami que j’aime souffrait comme moi, lui proposerais-je cette solution ?
Si non, que lui dirais-je ?
Souvent, cela révèle que la pensée suicidaire est une proposition désespérée, pas une vérité rationnelle.
Si vous vous en sentez capable, serrez-vous dans vos bras et dites à voix haute, ce que vous diriez à cet ami.
3. Chercher une micro-ouverture
Écrivez une seule chose, même minime, qui pourrait rendre le moment “un peu moins insupportable” : un contact physique, une activité, un aliment, un divertissement, une action physique ou créative, un contact social, une pause.
Réalisez cette chose immédiatement ou le plus tôt possible.
L’objectif n’est pas de “se sentir bien”, mais de créer une fissure dans le mur du désespoir — car cette fissure, c’est déjà la vie qui résiste.
En cas d’urgence ou de crise suicidaire
Ne restez pas seul(e). Si le risque devient immédiat, demandez de l’aide sans attendre :
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📞 3114 – Numéro national de prévention du suicide (gratuit, 24h/24 et 7j/7)
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🚨 15 (Samu) ou 112 si vous êtes en danger immédiat
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👩⚕️ Urgences psychiatriques de votre secteur (disponibles dans chaque hôpital)
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🏥 Centre Médico-Psychologique (CMP) proche de chez vous
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💬 Vous pouvez aussi contacter SOS Amitié au 09 72 39 40 50 (anonyme et confidentiel).
Appeler ne signifie pas “être fou”, cela signifie que vous avez compris que vous êtes en danger et que vous avez besoin d’aide.
Le désespoir n’est pas une absence d’espoir, mais un espoir qui s’est épuisé.
C’est un signal biologique : il indique que toutes les stratégies de survie disponibles ont été utilisées.
Dans cet état, l’énergie de la vie n’a pas disparu — elle est simplement bloquée par la douleur.
La thérapie, la parole et la relation permettent de remettre du mouvement là où tout semblait figé.
Se donner la possibilité d’en parler, c’est déjà un acte de vie.
C’est le signe que la partie de vous qui veut encore comprendre, espérer ou simplement respirer existe toujours.
Et cette partie-là, aussi petite soit-elle, mérite toute votre attention et tout votre soin.
Souvenez-vous que les choses changent toujours.
Vous n’êtes pas seul. Prenez soin de vous.
Eugénie DE HASPE